VAN DYCK (A.)

VAN DYCK (A.)
VAN DYCK (A.)

Enfant prodige et prince charmant de la peinture, Van Dyck surprend, et tout à la fois ravit et agace par l’aisance de sa démarche, par la souplesse de ses facultés d’adaptation, par l’agréable variété de ses successives manières de peindre. Élégant, raffiné, tour à tour aimable et émouvant, n’est-il que le brillant «second» de Rubens? Tant de périodes stylistiques plus facilement tranchées et par là même plus décelables que chez les autres artistes, tant d’influences supérieurement assimilées et ressenties (Rubens, Titien et Véronèse), tant d’agilité et de facilité à se concilier les clientèles de milieux sociaux très divers rendent malaisé un jugement équitable: est-il un grand artiste un peu superficiel ou un tempérament nerveux sinon maladif dont son art – apparemment inquiet – se ressentirait? Il est vrai que la période anglaise, incroyablement productive, pose de façon critique la question des collaborations d’atelier. Alors que Rubens apparaît face à Van Dyck comme un authentique maître d’œuvre, un véritable grand patron, apte au travail collectif et n’en souffrant point, tout au contraire Van Dyck reste un individualiste qui fut peut-être gêné par ses succès et auquel aura d’ailleurs manqué la consécration de grandes entreprises décoratives; mais c’est une malchance singulière pour lui que de mourir à peu près au moment où la place laissée par Rubens le mettait à même de s’y essayer.

Une réflexion sur la notion d’influence s’impose à propos de Van Dyck: ainsi la fameuse et si féconde collaboration avec Rubens devrait-elle être examinée avec soin; la chronologie des italianismes vandyckiens, revue de près. En fin de compte, l’image traditionnelle, quasi «proustienne» d’un Van Dyck maladif, instable et nerveux, auquel ferait écho la morbidezza de son style, n’est-elle pas surtout complaisante et littéraire? Van Dyck n’est pas Fromentin... L’œuvre pris dans son ensemble forme un édifice plus solide et plus original qu’il n’y semble d’abord paraître. Le dessinateur commence seulement à percer, qui révèle maintes surprises comme celles de ses paysages à l’aquarelle d’une étonnante spontanéité. Il convient enfin d’insister sur l’extraordinaire rayonnement du portraitiste qui, dans la peinture occidentale, fixe pour plus d’un siècle l’évolution du grand portrait d’apparat, notamment dans l’école anglaise qui fut sans conteste la plus «portraitiste» de toutes.

Éléments biographiques

Né à Anvers, septième enfant d’une riche et pieuse famille de marchands, Antoon van Dyck frappe par sa précocité; à l’âge de dix ans, en 1609, il est inscrit comme apprenti chez le peintre anversois Hendrick van Balen, cet habile et infatigable «maniérisant» spécialisé dans les petites figures mythologiques, et vers 1613-1614 se situe déjà le magistral Autoportrait de l’Académie de Vienne. Dès 1616, Van Dyck, sorti de la maison paternelle, cohabite avec Jan Breughel le Jeune, Juste d’Egmont et Herman Servaes, leur servant d’aides; en 1618, il apparaît sur les registres de la guilde de Saint-Luc d’Anvers comme maître, tandis que Rubens, dans ses négociations artistiques avec Dudley Carlton, est amené à le citer comme son meilleur disciple. De ces années-là date une étroite et fructueuse collaboration avec Rubens (en 1620, Van Dyck, rapporte l’ambassadeur anglais Arundel, habite même chez Rubens), notamment à propos de l’immense commande des plafonds de l’église des Jésuites d’Anvers où Van Dyck, en tant qu’exécutant, prend une part considérable. Sa renommée croît rapidement; en novembre 1620, il est en Angleterre et Jacques Ier lui alloue une rente annuelle de 100 livres. Il habite alors chez le portraitiste Georg Geldorp. En 1621, il reçoit un congé de huit mois et se rend en Italie, séjourne vers novembre chez le peintre flamand Cornelis de Wael à Gênes puis se rendant à Rome au milieu de 1622, de là à Venise, Mantoue, Milan (en novembre) et Turin, redescend enfin en 1623 à Florence et Rome. En 1624, on le trouve en Sicile, à Palerme où il peint son fameux tableau de Sainte Rosalie puis revient à Gênes (fin 1624-1625). En juillet 1625, il visite l’érudit et grand correspondant de Rubens, Peiresc, à Aix et regagne Gênes dont il peindra si souvent l’aristocratie. Ce n’est que vers l’automne 1627 qu’il est de retour à Anvers où il poursuit sa carrière de portraitiste et de peintre d’église, exécutant entre autres le portrait de l’infante Isabelle en 1628 (il s’intitule peintre de Son Altesse en 1630). Il se rend à la cour du stadhouder de Hollande à la fin de 1628 pour y portraiturer Frédéric-Henri d’Orange et sa famille.

En 1632, après un court séjour à La Haye (pour le portrait de Constantin Huygens), Van Dyck s’établit définitivement en Angleterre sur les instances de Charles Ier dont il devient le peintre de cour attitré et qui le comble de récompenses et de marques d’estime (ainsi une chaîne d’or et une médaille en 1633).

À l’aide d’un atelier actif, il multiplie les grands portraits d’apparat du couple royal, des membres de la famille et de la cour ainsi que de l’aristocratie anglaise. En 1634 se situe toutefois un séjour bruxellois pendant lequel il peint les magistrats et échevins de la ville. Honneur insigne échu jusqu’alors au seul Rubens, il devient, en octobre 1634, doyen d’honneur de la guilde des peintres d’Anvers. Au début de 1635, il rentre à Londres et s’y marie en 1639 avec Mary Ruthven, dame de compagnie de la reine – mariage aristocratique qui consacre l’avantageuse situation de l’artiste au sein de la cour d’Angleterre. À partir de 1640, sans doute à cause des menaces de la naissante guerre civile, Van Dyck cherche à quitter l’Angleterre; on l’attend à Anvers en septembre. On ne sait s’il a pu s’y rendre. Il est un moment question qu’il termine pour Philippe IV d’Espagne les Rubens laissés inachevés de la Torre della Parada, mais il refuse tout en se montrant disponible pour une nouvelle commande. À la fin de 1640, il est probablement à Paris, peut-être à cause d’une commande de peintures pour la grande galerie du Louvre (qui échoit finalement à Poussin). En octobre 1641, après avoir été longuement malade durant cette année-là, Van Dyck est à Anvers, après être vraisemblablement passé par la Hollande, puis séjourne de nouveau à Paris, mais il tombe derechef malade et ne peut exécuter le portrait de Richelieu. Il rentre alors en Angleterre où il meurt; il est enterré dans la vieille cathédrale Saint-Paul de Londres.

La première période anversoise (jusqu’en 1621)

Curieusement, et en contradiction avec ce qu’on pourrait attendre à la fois de la biographie du peintre et de ses travaux des années 1618-1621, les œuvres du début ne témoignent pas d’un rubénisme catégorique mais, bien au contraire, révèlent une surprenante violence, une agressivité puissante et farouche, très personnelle. On n’y retrouve guère l’élève du maniérisant habile et agréable qu’était Van Balen, non plus que la manière large et synthétique, pleine et harmonieuse de Rubens, même s’il y a très vite démarquage littéral de sujets rubéniens et collaboration étroite entre le maître et son juvénile disciple. Parmi les œuvres les plus anciennes et souvent les plus provocantes se distinguent: le Martyre de saint Sébastien du Louvre (coll. La Caze), dont il y a une très vivante étude peinte de cavalier à Oxford, le Portement de croix de l’église Saint-Paul à Anvers (1617), la belle série des Têtes d’apôtres (Louvre, Metz, Besançon, Lyon, Amiens, Augsbourg, Berlin, Dresde), une autre série comparable, la seule complète et un peu plus tardive (vers 1620-1621), qui, ayant été vendue par Böhler, de Munich, à partir de 1914 environ, se trouve aujourd’hui très dispersée. Ces œuvres sont souvent confondues avec des œuvres équivalentes de Jordaens. Un faire frémissant, des accents lumineux dans le regard, des épaisseurs de pâte dans les parties éclairées, un dédain du correct et du sage au point de ne pas savoir éviter certaines outrances presque ridicules (par exemple, la mine un peu stupide de l’adolescent qui incarne Sébastien dans le tableau du Louvre cité plus haut), caractérisent cette peinture libre et forte des débuts de Van Dyck qui invite à la comparaison avec celle de Jordaens, non moins expressive, mais plus placide, plus construite et jamais inquiète. D’instinct, Jordaens comme Rubens seront temporairement sensibles à un certain caravagisme auquel Van Dyck ne saurait souscrire. La générosité de la pâte, des blancs et des clairs plus nourris et plus crayeux en quelque sorte, des accents plus insistants et comme matérialisés, des tonalités plus sourdes et notamment un rouge tournant au brun font reconnaître à coup sûr la main vigoureuse de Van Dyck dans des pastiches totalement rubéniens comme le Saint Ambroise et Théodose et le Triomphe de Silène de la National Gallery de Londres, la Chasse aux sangliers de Dresde, la Bacchanale de Berlin. On se doute que, dans cette première période, les chassés-croisés entre Rubens et Van Dyck aient été incessants, le plus souvent au profit de Rubens! Une œuvre caractéristique comme la Dalila de Dulwich aux solides harmonies brunes sans les glacis et les transparences rubéniennes en témoigne bien, qui fut longtemps attribuée à Rubens jusqu’à la pertinente réattribution de Bode à la fin du XIXe siècle.

C’est un subtil rubénisme plein de puissance et de séduction, proche du maître quant à l’idée et présentant même quelque surenchère dans le jeu des sentiments et des expressions dramatiques mais bien original dans l’exécution, ce qui est d’un grand mérite face à cette personnalité extrêmement rayonnante qu’était Rubens. Du maître, Van Dyck sut, par exemple, bien reprendre l’éloquence monumentale, les mises en scène impressionnantes comme en témoigne l’Arrestation du Christ au Prado, d’un style chaud et inquiet qui semble anticiper sur l’évolution de Rubens dont seules les œuvres tardives des années 1630-1640 possèdent une émotivité et une agitation stylistiques équivalentes. Dans ce genre à la fois ferme et pathétique, au coloris plus lourd et saturé qu’on ne le trouverait chez Rubens, aux accents déjà somptueusement titianesques (avant même le voyage du peintre dans la Péninsule en 1622, l’Italie est devinée et admirée, sans doute grâce aux tableaux et dessins vus sur place dans les riches collections anversoises), Van Dyck donne quelques-uns de ses chefs-d’œuvre les plus convaincants: le Couronnement d’épines de Berlin et celui du Prado, la Déposition de Croix d’Oxford, l’Adoration du serpent d’airain à Madrid encore où les formes connaissent une élongation verticale et un rythme haché et saccadé symptomatiques, comparés à la composition toute en courbes enchevêtrées et refermées sur elles-mêmes qui anime le tableau de Rubens sur le même sujet à la National Gallery, la nerveuse Tête de jeune femme en buste (étude pour une Madeleine pécheresse?) de Vienne qui s’oppose assez radicalement à l’idéal de plénitude féminine cher à Rubens, les Saint Jérôme de Stockholm et de Rotterdam (fondation Willem van der Vorm), le Silène ivre de Bruxelles et celui de Dresde.

Dans les tableaux d’histoire de Van Dyck, religieux en grande partie (il est frappant, par rapport à Rubens, humaniste plus traditionnel dans l’esprit de la grande Renaissance, que les sujets mythologiques et les nudités allégoriques soient plus rares chez Van Dyck), et ce, dès l’origine, comme l’atteste l’inoubliable série des Têtes d’Apôtres , l’expressivité de regards, l’intérêt des visages restent saisissants, face à la placidité un peu indifférente, plus monumentale et sculpturale, des personnages de Rubens. Très vite Van Dyck connaît donc de grands succès comme portraitiste, et ses effigies, d’une allure d’ailleurs traditionnelle si on les compare à celles de Rubens et de Cornelis de Vos (et du premier Frans Hals, si largement tributaire des Flamands), ne se distinguent que par la qualité de leur présence vivante, non par l’invention des mises en pages ou des attitudes qui restent sévères, dignes et monumentales, avec des fonds neutres et sombres et de simples présentations frontales: tels le Jan Vermeulen de 1616 dans les collections de Liechtenstein, le Vieillard ovale de Dresde ou le Couple du même musée (1618) très riche en portraits de Van Dyck, le Portrait d’homme de 1619, tout frémissant, dans une moulure ovale peinte d’esprit tout maniériste, à Bruxelles. Peu à peu la manière gagne en aisance et en science, des fonds de paysage agrémentés de colonnes et de draperies – à la vénitienne – apparaissent vers 1620 – et, comme des chefs-d’œuvre de race et de sensibilité, à la facture fine et souple, restent le portrait de Snyders et de sa femme à Cassel, et celui analogue de Wildens à Detroit, la Famille de Saint-Pétersbourg, le Christ bénissant les enfants d’Ottawa qui en fait un portrait collectif, le Couple de Budapest. Très frappant est l’italianisme foncier – d’un convaincant titianisme – de maints de ces portraits encore peints à Anvers avant le départ en Italie en 1622, comme le Paul de Vos du Kunsthistorische Museum de Vienne ou l’Homme à l’épée du Louvre (selon Glück, Paul de Vos également) au fond du ciel crépusculaire balayé de lueurs inquiètes qui marquent le côté héroïque et baroque de cette peinture noblement aristocratique. Dans la même facture large et rapide, à empâtements et coups de brosse expressifs (dans les cils, les plis des vêtements, les reflets de lumière sur les chairs, les collerettes et les manches de dentelle blanche) se distinguent d’autres portraits des mêmes premières années 1620, tels ceux de Lucas van Uffel (à Brunswick et à New York), d’un Vieillard au musée Jacquemart-André à Paris, de l’original des Amateurs d’antique dont une copie ancienne longtemps jugée authentique se trouve à la National Gallery.

La période italienne (1622-1627)

Le premier séjour anglais de Van Dyck fut trop court pour marquer une étape du développement stylistique de l’artiste. Tout au plus peut-on y situer quelques rares œuvres comme le portrait du comte Arundel, ce diplomate et amateur d’art si lié avec Rubens et qu’il reverra en Italie (coll. Guggenheim à Washington) et probablement aussi la Continence de Scipion dans les collections de Christ Church à Oxford.

En Italie, Van Dyck se livre d’abord à une frénétique activité de touriste et de copiste dont témoignent l’album de Chastworth et maints autres dessins, le plus souvent à la plume, très nerveux et désinvoltes, qui gardent le souvenir de sculptures antiques ou de peintures de la grande Renaissance italienne, Corrège, Titien et Raphaël surtout, mais point Michel-Ange si étudié au contraire par Rubens.

Sous l’influence renforcée des Vénitiens et de Titien surtout, le Flamand s’installe peu à peu dans sa manière frémissante et comme sentimentale de la maturité avec de rares et convaincantes suavités dans l’usage des couleurs. Au contact de l’Italie, Van Dyck ne recherche nullement les exemples de facture brutale et libre – celle d’un Tintoret par exemple – mais se réfère à des modèles et à une esthétique apaisés qui apparemment contrediraient sa première manière emportée, si la recherche personnelle et originale n’était le vrai fondement des démarches et des expériences parfois contradictoires mais toujours passionnées de Van Dyck: ainsi, en dessin, le voit-on fréquemment tâtonner entre plusieurs solutions qu’il esquisse avec le même emportement rageur qui donne à son graphisme une surprenante «sauvagerie».

Parmi les tableaux sûrement peints en Italie – entre 1621 et 1627 – se rangent d’abord et à l’évidence les quelques toiles encore en place dans des églises ou des palais de la Péninsule, tels le poignant Christ en croix du Palais royal de Gênes, le Denier de César du Palazzo Bianco de la même ville (avec un Jésus-Christ très titianesque), un autre Christ en croix avec saint François et saint Bernard à l’église Saint-Michel de Pagana près de Rapallo et surtout la Madone aux anges de l’oratoire du Rosaire à Palerme, où les saintes palermitaines, sveltes et élancées, incarnent cet idéal de féminité élégante et tendre cher à Van Dyck. À l’exemple de Titien, Van Dyck multiplie les Vierge à l’Enfant où triomphent sa délicatesse nouvelle et un faire souple et nuancé: de bons exemples s’en voient dans les galeries de Parme et de Turin ainsi qu’au palais Corsini de Rome (le fameux «Presepio» d’une suavité toute corrégienne). Dans le même style recherché, tendre et pathétique, se distinguent la Madeleine repentante d’Amsterdam, la Suzanne au bain de Munich et les brillants exercices néo-titianesques à souhait que sont les Quatre Ages de la vie au musée de Vicence et Diane et Endymion au Prado. Mais Van Dyck, en Italie, est encore plus actif en tant que portraitiste (à Gênes même, il aura un brillant imitateur avec Giovanni Bernardo Carbone, d’où de fréquentes erreurs d’attributions), confirmant ainsi une évolution bien annoncée dans les dernières années de sa première période anversoise: portraits plus pénétrants, plus racés et plus dignes que jamais, principalement empruntés au monde de l’aristocratie génoise où Van Dyck arrive, à près de vingt ans de distance, sur les traces de Rubens. Aussi, à côté de portraits en buste d’artistes flamands rencontrés en Italie, tels que les frères Lucas et Cornelis de Wael établis à Gênes (musée du Capitole, Rome), les sculpteurs Petel (Munich) et Duquesnoy (Bruxelles) ou bien ce curieux marchand et éditeur d’estampes répandu à travers l’Europe et grand ami de Claude Vignon qu’était le chartrain François Langlois, représenté en «savoyard», en train de jouer de la cornemuse (collection du vicomte Cowdray à Quernmore Park), c’est une impressionnante galerie de portraits d’apparat de la noblesse italienne, de pied en cap, et sur des arrière-plans palatiaux à la vénitienne (draperies, colonnes et balustrades), dans cette fascinante mise en scène monumentale qu’a mise au point Rubens dès les années 1600 (et même avant lui Frans II Pourbus) comme le montrent les propres portraits de nobles Génoises peints par Rubens en 1606 et conservés à Stuttgart, Karlsruhe et Washington. La ressemblance ici est très forte entre Rubens et Van Dyck au point de laisser par exemple indécise l’attribution du beau portrait de vieille dame de la famille Durazzo au musée de Strasbourg, qui a été tour à tour donné à Rubens puis à Van Dyck. Simplement, le second rivalise avec le premier en aristocratisme et, moins hiératique et sculptural, rend plus élégant et plus flatteur, codifiant définitivement les conventions du portrait noble qui, de Velázquez à Lawrence, de Rigaud à Gainsborough et à Nattier, va régir pendant près de deux siècles la peinture européenne. Entre tant de bons exemples il est difficile de choisir, et pourquoi citer plus la présumée Marquise Geronimau Spinola-Doria du Louvre que celle de Cleveland, le Gian-Vincenzo Imperiale de Bruxelles plutôt que le superbe et équestre Marquis Anton Giulio Brignole-Sale du Palazzo Rosso à Gênes (où se trouve également le portrait de son épouse, Paolina)?

Le second séjour anversois (1627-1632)

Fort de sa riche culture italienne, Van Dyck, à son deuxième retour dans les Flandres et avant de partir pour l’Angleterre, atteint sans doute dans ces années-là le sommet de sa perfection raffinée et émouvante. De nouveau, il apparaît comme un grand et très actif peintre religieux. Les draperies tendent à se chiffonner dans une agitation baroque caractéristique; des fonds de paysages crépusculaires relèvent encore l’émotion des scènes; les regards – instantanés –, les attitudes et les poses – recherchées et sinueuses – deviennent toujours plus pathétiques d’effet et le coloris plus nuancé et plus riche, la facture plus fondue et changeante. L’influence de Titien, dans le sens d’une polychromie plus subtile et capiteuse, est à noter comme le prouvent excellemment la fameuse et charmante (presque trop!) Sainte Famille de Munich, ou bien la Vierge avec les saints intercesseurs du Louvre qui mériterait d’être remise au jour.

Comme grandes réalisations et d’une convaincante sentimentalité (sensibilité et tact, non sensiblerie pleurarde!), il faut citer en premier lieu le Calvaire de Lille peint peu après le retour d’Italie, la Déposition de croix d’Anvers et celle de Berlin, le Saint Sébastien de l’Ermitage, la Vierge aux donateurs du Louvre, d’une tendre gravité. Dans maintes églises belges se voient encore en place les grands tableaux d’autel commandés à cette époque, ainsi à Courtrai (Érection de la croix , 1631), à Dandermonde, Gand et à Malines (des Calvaire , celui de Gand étant de 1630), aux Augustins d’Anvers (Extase de saint Augustin , 1628). De brillantes esquisses peintes comme celle du musée Bonnat à Bayonne, de Bruxelles, d’Oxford, de l’Académie de Vienne, de Rotterdam, très écrites avec des indications pointues pour les accents de lumière, confirment bien l’inquiétude stylistique qui va pourtant de pair avec un certain alanguissement du coloris et des formes, l’un et l’autre propres à Van Dyck, et qui lui permettent de nuancer de façon indépendante et originale le grand message rubénien. Ici Van Dyck aura maints suiveurs qui exploiteront la veine facile d’un sentimentalisme pictural, tels Willeboirts Boschaerts, Gerard Seghers, Liemackere, Boeckhorst.

Les sujets d’histoire antique ou de mythologie ne sont guère plus nombreux qu’auparavant mais traités maintenant avec une ampleur et une finesse inégalées, le chef-d’œuvre restant le Samson et Dalila de Vienne (sujet biblique traité dans un esprit tout profane et narratif), mais il faut citer encore le Vénus et Vulcain du Louvre qui allie grâce italienne et dynamisme rubénien, et l’autre version du même thème à Vienne, le Renaud et Armide de Baltimore, le Temps coupant les ailes de l’Amour au musée Jacquemart-André à Paris.

Dans les portraits, la réussite n’est pas moins évidente: lumière caressante, unité de coloris dans les bruns et les gris soyeux qui renforce la tenue générale de ces effigies, modelé adouci, habileté d’une mise en scène éloquente grâce à une savante rhétorique des gestes et des attitudes (par exemple, une animation baroque des mains comme chez Frans Hals, qui est d’origine maniériste mais devenue plus naturelle et que ne pratique cependant jamais au même degré un Rubens, plus sobre, moins complice dans ses effets), élégance innée des modèles tous choisis dans un monde cultivé (beaucoup d’artistes), accordée au monde réservé, de plus en plus raffiné et comme musical de cette peinture élitiste et admirablement néo-vénitienne, telles sont les marques distinctives de l’art du portrait chez Van Dyck, dans la plénitude de ses moyens et d’une renommée vraiment internationale après son retour d’Italie. Une place privilégiée doit être donnée ici à la fameuse Iconographie , ce recueil de cent portraits si actuel par sa formule, dans l’esprit d’une sorte de reportage photographique avant la lettre: hommes d’État, princes et capitaines de guerre, savants et surtout amateurs et artistes contemporains (près de soixante pour ces derniers, c’est l’une des originalités du recueil et une affirmation typiquement humaniste de la nouvelle place de l’artiste au XVIIe siècle), gravés en majorité d’après des dessins et non des tableaux de Van Dyck (plusieurs croquis sont conservés à Chastworth, au Louvre, à Amsterdam [Musée municipal, fonds Fodor]) et dont Van Dyck lui-même exécuta une trentaine de gravures. Les grisailles peintes en relation avec cette série et souvent citées comme des esquisses préparatoires ne sont plus considérées aujourd’hui comme des originaux; vraisemblablement, c’étaient des aide-mémoire pour le graveur, dus à ce dernier même ou à l’atelier du peintre. La date d’exécution des dessins de l’Iconographie publiée en 1645 n’est pas connue, mais les débuts du travail de Van Dyck se situent visiblement à Anvers et avant 1632, vu la majorité de modèles d’origine flamande, certains étant même décédés en 1632 comme Van Balen; les derniers dessins datent des années 1634-1635. Parmi les portraits peints au cours de cette faste période (1627-1632), il faut citer parmi bien d’autres l’Ecclésiastique d’Anvers, le Musicien du Prado, les époux Stevens à La Haye (1627-1628) d’une remarquable onctuosité dans l’harmonie des vêtements et du fond gris-brun subtil, divers couples en pendants, souvent accompagnés de chiens ou d’enfants (Dresde, Munich, Wallace Collection, Louvre). Comme toujours, il y a dans cette galerie de portraits beaucoup d’artistes: Quintin Simons (musée de La Haye), Ryckaert (musée du Prado), l’organiste Liberti (Munich), Jan de Wael et sa femme (Munich), etc., mais aussi des hommes de guerre, des princes et princesses, des ecclésiastiques, le prince Frédéric d’Orange et sa femme Amalia von Solms (musée du Prado), les princes Rupert et Charles-Louis de Bavière enfants (musée de Vienne), d’un charme déjà tout à la Velázquez, le comte Hendrick van den Bergh en cuirasse qui préfigure nombre de Rigaud (Prado et Chantilly), Marie de Médicis à Lille (version trop souvent dépréciée et qui paraît originale), l’infante Isabelle-Claire-Eugénie, régente des Pays-Bas, costumée en religieuse (exemplaire en pied et l’un des meilleurs à Turin parmi de très nombreuses répliques et copies). On fera un sort particulier à l’attachante effigie du négociant Sébastien Leerse, avec sa femme et son fils, vus en buste sur un apaisant fond de paysage (musée de Cassel), qui annonce le fameux portrait de famille de Largillière au Louvre.

La période anglaise (1632-1641)

Entrecoupée de séjours sur le continent, la dernière décennie de la carrière de Van Dyck voit le développement considérable et comme exagéré de son activité de portraitiste au service de la cour et de la grande société anglaise. Succès tel qu’il implique une inévitable puis dangereuse participation de l’atelier et au-delà (quelle famille noble anglaise, quel château britannique n’a pas son «Van Dyck»). Bien sûr, toute une pléiade de suiveurs et de pasticheurs, parfois de beaux talents comme Ceulen, Lely, Hanneman ou Mytens – d’origine nordique d’ailleurs (pour Hanneman, voir par exemple son beau portrait inédit de la famille Ceulen à Bordeaux, attribué longtemps à Van der Helst et très vandyckien d’allure et d’idée) –, vont relayer les efforts apparemment fébriles et inlassables de Van Dyck. L’on citera encore ici les noms de William Wissing, William Dobson, Hoskins, Peter Oliver, Gottfried Kneller, Michael Dahl, Soest, Robert Walker, entre autres.

S’il ne faut pas parler de relâchement et d’affaiblissement stylistiques, du moins a-t-il une tendance, pendant la période anglaise, à multiplier les accents de lumière menus et éparpillés, à rendre les étoffes par trop virtuosement brillantes, satinées et délicatement plissées, à plaire et adoucir, que ce soit dans l’expression, la lumière, le modelé; mais les fonds, plus souvent animés de paysages, témoignent d’un remarquable sentiment de la nature et de l’atmosphère qui eussent fait de Van Dyck un grand paysagiste (voir le Charles Ier du Louvre!) s’il l’avait témoigné dans des exercices purs, moins confidentiels que quelques rares et fraîches aquarelles et d’incisifs croquis à la plume d’un graphisme à longues lignes souplement parallèles qu’il a repris des Vénitiens, Titien et Campagnola notamment. (Beaucoup de ces dessins datent d’un voyage sur la côte anglaise, en 1633-1634, dans la région de Rye dans le Sussex, non loin de Hastings.) Par ailleurs, les commandes royales permettent à Van Dyck de se réaliser dans des toiles d’une ambition monumentale jamais atteinte, comme ses grandes effigies souvent équestres de Charles Ier (National Gallery, Louvre, Windsor), de Moncade (Louvre), de Thomas de Savoie (Turin) qui en font un peintre sérieux autant qu’aimable et gracieux. Il devait en être autant du grand portrait collectif des échevins de Bruxelles sous la protection de la justice, peint en 1634-1635 pour l’Hôtel de Ville mais malheureusement brûlé avec ce dernier en 1695 et dont seule une précieuse esquisse à l’École des beaux-arts de Paris conserve le souvenir.

Ses quelques tableaux religieux ou mythologiques attestent la grâce de son talent, une suprême morbidezza néo-titianesque qui aura tant d’influence sur l’art du XVIIIe siècle de Watteau à Gainsborough. Les réussites dans ce genre sont l’Amour et Psyché d’Hampton Court d’une sveltesse suave irrésistible (voir aussi le large feuillé et le lointain tenus dans une douce harmonie à la Sustris, bien vénitiens de sentiment et qui ne cherchent pas, bien au contraire, à «trouer» le tableau), le Renaud et Armide du Louvre, les grandes Déposition du Christ d’un noble pathétique, à Munich (1634) et à Anvers, réalisés dans ce format rectangulaire allongé qui convient parfaitement à une telle peinture émouvante.

Dans les portraits, l’abondance est excessive pour citer telle œuvre plutôt que telle autre. Les portraits de la famille royale, ceux de Charles Ier notamment, sont souvent restés dans les collections publiques anglaises (Londres, National Gallery et collections royales dispersées à travers les châteaux de Windsor, d’Hampton Court), mais il en existe encore de bons exemples à Dresde, à l’Ermitage, au Louvre (où toutefois le charmant portrait des enfants de Charles Ier, longtemps vanté, n’est qu’une copie, sans doute anglaise, les vrais originaux de cette composition étant à Turin et à Windsor), à Arundel Castle. Un développement plus original est fourni par les portraits mythologico-allégoriques selon une mode littéraire fréquente au XVIIe siècle. Van Dyck ici n’est pas l’inventeur du genre (un Poelenburgh, un Mytens, un Honthorst, un Bloemaert en ont déjà fait; l’idée est typiquement maniériste: cf. Clouet, le pseudo Félix-Chrétien au Louvre et toute l’école de Fontainebleau!), mais il porte la formule à sa perfection et, lui ôtant tout ridicule, la transforme en une agréable et plaisante convention d’élégance et de bon ton: ainsi lady Venetia Digby en Prudence (Windsor), lord Philip Wharton en berger (Ermitage), l’attachant James Stuart du Louvre en Pâris tant aimé de Proust... (pour le modèle plus que pour la peinture? Van Dyck a tant de charme que son admiration devient vite trop littéraire!), Rachel, comtesse de Southampton en Fortune (Althorp House): la formule aura un immense succès tant en Angleterre qu’en France (Mignard, Largillière, Nattier). Si le portrait en pied – prétexte à faire valoir une belle tournure, une silhouette élégante, un bouillonnement de draperies – retrouve toute la prédilection de Van Dyck durant cette période – admirables exemples avec les effigies de Marguerite (Offices) et de Henriette de Lorraine (Kenwood) –, Van Dyck recourt aussi de plus en plus à la formule du double portrait en buste, associant ainsi d’une façon touchante un couple, des amis ou des parents: Herbert de Pembroke et sa sœur Sophie (Chastworth), le jeune prince cueillant une fleur, George Digby et William Russell (Althorp House). Il est inutile d’insister sur l’autre élément sentimental dont joue parfois Van Dyck avec élégance: ce touchant dialogue de l’homme et d’un animal (cheval et surtout chien) comme dans les portraits de Charles Ier au Louvre (le cheval, par révérence, s’incline devant son maître; il est d’ailleurs repris tel quel d’une Adoration des Mages de Véronèse...), des enfants de Charles Ier à Windsor, de James Stuart à New York et à Kenwood – l’un des plus émouvants de tous les portraits de Van Dyck avec son paysage adouci et brumeux à la Titien, accordé à l’humeur nostalgique du portraituré.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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  • Van Dyck — (Anton) (en néerl. Van Dijck) (1599 1641) peintre flamand. élève puis collab. de Rubens, il séjourna en Italie avant de s intaller en Angleterre en 1632. Ses portraits concilient distinction des poses et vérité psychologique …   Encyclopédie Universelle

  • Van Dyck — (izg. vàn dȁjk), Anthonis (1599 1641) DEFINICIJA flamanski barokni slikar (Rubensov učenik i suradnik); na putovanjima po Italiji postao najtraženiji portretist talijanske aristokracije; dvorski portretist engleskog kralja Karla I, stvorio tip… …   Hrvatski jezični portal

  • Van Dyck — [van dīk′] Sir Anthony 1599 1641; Fl. painter, in England after 1632: also sp. Vandyke …   English World dictionary

  • Van Dyck [2] — Van Dyck (spr. deik), Ernest Marie Hubert, Bühnensänger (Heldentenor), geb. 2. April 1861 in Antwerpen, seit 1888 an der Wiener Hofoper …   Kleines Konversations-Lexikon

  • Van Dyck — Van Dyck, Anton …   Enciclopedia Universal

  • Van Dyck — Van Dyck, Sir Anthony (1599 1641) a Flemish painter who lived for some time in England, and painted ↑portraits of the British king Charles I and his family …   Dictionary of contemporary English

  • Van Dyck — Sir Anthonis van Dyck, Selbstporträt um 1630 Jugendliches Selbstporträt, um 1615 (Gemäldegalerie der Akademie der Bildenden Künste Wien) …   Deutsch Wikipedia

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